Haïti : « Le meilleur et le pire de l’homme »

Manuel_Rivero

Fr. Manuel Rivero o. p. est vicaire provincial des Dominicains en Haïti. Un mois après le séisme qui a frappé Port-au-Prince, l’Espagnol qui fut frère au couvent de Toulouse relit l’événement et témoigne de l’engagement de sa communauté au service des plus démunis.
Pendant ce temps de Carême, le site eglise.catholique.fr proposera chaque semaine le témoignage du frère Manuel Rivero. Première partie : « Le meilleur et le pire de l’homme »

Comment se porte la communauté dont vous êtes le vicaire provincial ?

À Port-au-Prince, dans la communauté Saint-Dominique au collège Sainte-Rose de Lima, situé au centre-ville, nous sommes quatre frères dominicains : trois frères haïtiens et moi-même. D’autres frères travaillent dans des écoles ou des institutions de la capitale. Aucun n’a été tué ni blessé, grâce à Dieu. En revanche, deux frères connaissent le deuil familial suite à la mort ou à la disparition de frères, de sœurs, de nièces …
La chapelle de Sainte-Rose de Lima des religieuses de Cluny qui nous accueillent s’est effondrée le 12 janvier 2010. Les bâtiments scolaires sont fissurés et par conséquent inutilisables. L’étage de la maison du noviciat des sœurs s’est aussi écroulé.
Les bidonvilles des alentours ont souffert terriblement. Les maisons sont tombées sur les unes sur les autres, comme un château de cartes. Aujourd’hui les terrains des écoles sont devenus des camps de réfugiés. Les familles qui ont perdu leurs maisons se sont regroupées près des écoles pour faire face au quotidien difficile dans la solidarité et la sécurité. Faute de tentes, la population redoute la pluie qui risque d’aggraver considérablement les conditions de vie sans hygiène ni protection.
 

Comment cet événement impacte-t-il votre ministère ?

Les frères dominicains travaillent au service de la formation théologique au grand séminaire, au CIFOR (Centre d’études théologiques pour les religieux et religieuses d’Haïti), à l’OCA (Office de la catéchèse de l’archidiocèse), etc. Le séisme du 12 janvier a rendu impossible la poursuite des cours. L’aumônerie de l’université où un frère dominicain exerce son ministère a aussi été détruite.
Nous continuons à célébrer les messes en plein air. Beaucoup d’églises du centre-ville n’existent plus alors qu’elles rassemblaient des milliers de personnes chaque semaine : la cathédrale, le Sacré-Cœur, Saint-Louis-Roi-de-France et bien d’autres.
Nous accompagnons les personnes dans leurs souffrances : deuil, maladie, amputations… Nous proposons aussi des temps de prière dans les Équipes du Rosaire, des formations… La foi a besoin de la nourriture de la Parole de Dieu et des sacrements pour ne pas tomber dans le désespoir. Ceux qui perdent l’espérance succombent souvent à la tentation de la violence.
 

Que découvrez-vous à travers cette épreuve ?

L’élan de solidarité qui a accompagné les souffrances du peuple haïtien après le 12 janvier 2010 peut être lu comme « un signe des temps ». Des trésors de générosité se trouvent cachés dans le cœur de millions de personnes, parfois stagnants, en attendant l’événement qui les fera venir à la lumière. L’Esprit Saint agit en chaque homme de manière mystérieuse. Les fruits de cette présence divine se manifestent notamment dans les situations limites d’épreuve et de mort.
Ce drame a mis en valeur le meilleur et le pire de l’homme. Lors du tremblement de terre des gestes magnifiques d’amour ont illuminé les rues endeuillés de Port-au-Prince : des personnes elles-mêmes blessées se sont mises au service des victimes qui gémissaient sous les décombres et qui avaient besoin au moins d’eau pour survivre. Mais malheureusement le vol et la violence ont sévi aussi dans l’ambiance chaotique de l’effondrement d’une grande partie de la ville.
Lors d’une conférence donnée par un médecin brésilien, le mardi 12 janvier 2010, à l’occasion de la réunion des religieux de la Caraïbe (Cuba, Puerto Rico, Guadeloupe, Martinique et Haïti), le bâtiment du centre de formation théologique pour les religieux s’est écroulé. La femme médecin est morte sous les décombres. D’autres religieux sont aussi décédés. Certains se sont débattus pour survivre. Les forces de l’ONU- MINUSTAH se sont déplacées pour extraire la dépouille mortelle du médecin brésilien. Ils ont pu le faire grâce à leur matériel tandis que la population s’évertuait la plupart du temps à aider les sinistrés à mains nues. Un jeune religieux montfortain haïtien criait dans les ruines. On a demandé aux Casques bleus de l’en sortir. Ils n’ont pas voulu, se contentant d’accomplir l’ordre reçu. Les religieux en ont été choqués. Quelques heures plus tard, les amis de ce jeune sont parvenus à le libérer. Le père montfortain qui l’a accompagné au moment de sa mort et qui a pu lui donner l’onction des malades me faisait part hier de sa tristesse devant un tel refus.

Fr. Manuel Rivero o. p.
Vicaire provincial des Dominicains en Haïti

A venir : « Habités par le désir de Dieu » et « Ne pas en rester à un simple geste d’émotion et d’entraide ».

Solidarité-Haïti
Vous pouvez faire parvenir vos chèques à l’ordre de « Solidarité-Haïti » au Couvent des Dominicains. 20 rue des Ayres. 33082 Bordeaux Cedex. France.
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