« Dom Helder Camara : Le don de l’amour », témoignage du P. Antoine Guérin

Dom Helder Camara portrait bras levé

2009 marque le centenaire de la naissance et le dixième anniversaire de la mort de Dom Helder Camara, évêque de Récife (Brésil) et défenseur des plus pauvres.

Prêtre Fidei Donum du Prado (Lyon), P. Antoine Guérin a collaboré avec Dom Helder Camara. De 2000 à 2004, il a été secrétaire national du Cefal, aujourd’hui le « Pôle Amérique Latine » au sein du Service National de la Mission Universelle de l’Eglise. Il vit toujours dans la région du Nordeste au Brésil.

C’est au présent qu’il faut parler de cet homme. La présence et l’action de Dom Helder continuent aujourd´hui par tout ce qu’il a semé et planté, mais aussi par ses écrits qui petit à petit sont publiés.

Cet expert en humanité est un citoyen du monde. Son regard s’étend bien au-delà de l’horizon ecclésial : « Deux mille ans après la naissance du Christ, plus des deux tiers de l’humanité vivent dans des conditions inhumaines de misère et de faim. Plus des deux tiers des fils de Dieu vivent comme des animaux. » Ce mystique passionné, ce poète riche de sensibilité et plein d’humour est un pasteur qui accueille les sentiments du Christ Bon Pasteur, connaissant ses brebis, exprimant une compassion extrême, lui permettant de sentir ce que sentent les exclus de ce monde. Bien des fois je le vis mimer le dialogue de Maria et José, ce couple qui fuit la faim et la misère de la campagne pour émigrer en ville : « Tu vas voir Maria, je vais trouver du travail ; nous aurons une jolie petite maison ; nos enfants vont enfin étudier et se nourrir correctement ; en cas de maladie nous serons accueillis dans un des hôpitaux ! Tu vas voir Maria, ici nous serons heureux ! ». José et Maria finalement arrivent en ville pour s’entasser dans une des nombreuses favelas de Recife !

Dom Helder est un prophète pour notre temps. Il enthousiasme les jeunes et ceux qui veulent construire un monde différent. Comme tous les prophètes, il ne s’appartient pas. Il offre sa vie aux pauvres et à leur cause quoi qu’il en coûte ! On sait toutes les souffrances qu’il a connues de la part des militaires, des gens qui ne voulaient aucun changement de société, de plusieurs collègues évêques et cardinaux et de la Curie Romaine. Ce grand communicateur est empêché de parler. Les journaux et revues du Brésil ne peuvent citer son nom.

Nous pouvons admirer son audace prophétique. Lorsqu’avec Bruno, le prêtre avec qui je suis arrivé à Recife, nous lui demandons la permission de vivre dans un quartier pauvre et de travailler pour mieux connaitre ce peuple auquel nous voulons consacrer notre vie, il n’hésite pas : « Vous avez tout mon appui ! » Et cela en pleine dictature militaire ! Il sait unir la douceur et la fermeté, la force du prophète et la tendresse du frère. Alors que nous allions célébrer une Messe, il rencontre un prêtre qui vivait en opposition radicale avec lui. Dom Helder étend les bras et l’embrasse avec beaucoup de tendresse en lui disant : « Mon frère ! » Audace et humilité, car il était bien conscient de ses limites humaines. Dans son discours, le jour de son arrivée comme Archevêque d’Olinda et Recife, il dit qu’il « se considère frère de la faiblesse et du péché des hommes de toutes les races et de tous les coins du monde. » Quand on lui demande s’il ne s’enorgueillit pas lorsque des milliers de personnes l’acclament, il répond : « Quand j’entends les applaudissements, je dis à Jésus : « Seigneur, je ne suis que l’âne qui te porte. C’est toi qu’ils applaudissent ! »

Comme tous les prophètes Dom Helder est un homme libre. Ami du Président de la République, Juscelino Kubitschek, celui-ci lui demande d’être le maire de la nouvelle capitale, Brasilia. La réponse ne se fait pas attendre : « Aujourd’hui, Monsieur le Président, je suis ici, en face de vous, débattant de points de vue en toute liberté et sans aucun engagement. Le jour où je vais me lier à votre groupe de commandement, vu les impositions de la pratique politique, je vais être enchaîné, acceptant tout ce que vous me demanderez, ne vous apportant plus la collaboration originale et indépendante de l’Église. » Le prophète ne peux être l’homme d’une institution. Il doit être indépendant pour garder sa cohérence !

Le prophète soulève le voile des apparences pour montrer ce qu’il y a derrière, en positif ou en négatif. À cette prostituée qui lui dit que les jours de fête de la Vierge Marie, elle ne fait pas payer les pauvres, il dit : « Priez pour moi ! » À la fin d’un dîner, la maîtresse de maison lui remet une grosse enveloppe en lui disant : « Faites-en ce que vous voudrez. » Il lui répond : « Alors, permettez-moi d’en donner une partie à votre cuisinière pour qu’elle puisse acheter des remèdes pour son fils malade. Une autre partie aidera votre chauffeur à acheter le matériel scolaire de sa fille. Enfin cet argent sera bien utile à votre femme de chambre pour réparer sa maison qui s’écroule ! »

« Si je rêve tout seul, c’est seulement un rêve. Mais si nous rêvons ensemble, c’est le commencement de la réalité. » Dom Helder aime répéter cela. Comme tous les prophètes, c’est un rêveur. Mais un rêveur qui agit et regroupe les personnes comme il l’a merveilleusement fait pendant le Concile dont il fut l’un des membres les plus influents… sans jamais prendre la parole dans les Assemblées. Ce rêveur fait un pacte avec Roger Garaudy qui était à l’époque un des dirigeants du Parti Communiste Français : « Je ferai tout pour que l’Église accepte le socialisme et vous pour que les communistes éliminent le lien entre religion et aliénation. » En 1973, dans le Document « J’ai écouté les clameurs de mon peuple », publié en pleine dictature, Dom Helder avec plusieurs évêques et supérieurs de Congrégations Religieuses commence a réaliser le pacte : « La classe dominante n’a pas d’autre sortie pour se libérer, si ce n’est par le long et difficile cheminement, déjà en cours, en faveur de la propriété sociale des moyens de production. » À partir de ce document explosif, je fais un montage audio-visuel montrant les contrastes entre riches et pauvres et les appels pour construire une nouvelle société. Dom Helder pleure pendant cette présentation. Ce sont les larmes du prophète qui révèle ce qu’il y a derrière les dures réalités de la vie et la difficile réalisation de son rêve. Chaque fois qu’un événement grave se présente, comme tortures ou enlèvement, Dom Helder nous convoque pour écouter les propositions d’action. Le prophète n’agit pas seul. Alors qu’il n’est plus Archevêque d’Olinda et Recife, quand Bruno Bibollet et des membres de la Pastorale des prisons sont pris en otage et risquent d’être assassinés par les prisonniers ou par la police, Dom Helder est là dans le palais épiscopal de son successeur, cherchant avec nous une solution.

Son prophétisme ne se limite pas à la société. Il l’exerce aussi dans l’Église. En créant « les rencontres de frères », il pousse les pauvres à se réunir pour écouter la Parole de Dieu et s’organiser afin d’améliorer leurs conditions de vie. Alors que le pasteur parle à la radio, de nombreuses personnes écoutent ces paroles d’espérance qui poussent à l’action. En créant la commission « Justice et Paix », il engage l’Église au service des droits humains, défendant prisonniers politiques comme paysans sans terre et exclus de toutes sortes.

Dans le livre qui sera bientôt publié de nouveau, en France, Dom Helder écrit : « L’Église toute entière est appelée à être prophétique, c’est à dire à annoncer la parole du Seigneur, et aussi à prêter sa voix aux sans voix, à faire exactement ce que le Christ, en lisant Isaïe, proclama être sa mission à lui : « L’Esprit du Seigneur est sur moi. Il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, pour ouvrir les yeux, pour libérer… » C’est toujours la mission de l’Église. »

En France, comme en Amérique Latine et dans le monde entier, des jeunes, des adultes croient qu’un autre monde est possible. Ils gardent dans le cœur la fraîcheur et l’utopie de l’Évangile. Ces minorités abrahamiques, comme les appelle Dom Helder, donnent une âme au monde.

Père Antoine Guérin