Allocution de bienvenue du Cardinal Ricard au Patriarche Alexis II

Sainteté,

C’est un honneur et une grande joie pour nous de vous accueillir ainsi que votre délégation dans cette Maison de la Conférence des Evêques de France, qui a été inaugurée tout récemment. En vous recevant de tout cœur, Sainteté, permettez-moi de saluer très cordialement tous ceux qui vous accompagnent et plus particulièrement le métropolite Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad et Mgr Innocenti, archevêque de Chersonèse.

Plusieurs membres de notre Conférence ont tenu à être présents pour vous entourer lors de ce repas : le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, Mgr Vingt-trois, archevêque de Paris, qui vous accueillera, ce soir, dans sa cathédrale Notre-Dame, plusieurs évêques très engagés dans les relations œcuméniques, Mgr Gardes, archevêque d’Auch, Mgr Thomazeau, archevêque de Montpellier et Mgr Daucourt, évêque de Nanterre. Il y a aussi un cardinal que vous connaissez bien, c’est le cardinal Etchegeray, président émérite des Conseils pontificaux Justice et Paix et Cor Unum. Il ne fait plus partie de notre conférence puisqu’il est devenu un cardinal « romain ». Mais je n’oublie pas qu’il a été président de notre Conférence et aussi, pendant quatorze ans, mon propre évêque quand il était alors archevêque de Marseille. Je remercie de leur présence Mgr Bravi, représentant Mgr le nonce apostolique en France et le frère Aloïs, prieur de la Communauté de Taizé.

Je viens de parler de relations œcuméniques. Notre pratique en France dans ce domaine est très ancienne. Elle a pris, il y a très exactement vingt ans, un visage plus institutionnel avec la création d’un Conseil d’Eglises chrétiennes en France. Ce Conseil n’a pas d’abord une mission de travail théologique. Il est un lieu de rencontre fraternelle, de découverte mutuelle et de témoignage commun. Nous cherchons, en effet, à voir comment témoigner en tant qu’Eglises chrétiennes face aux multiples problèmes et défis qui se présentent dans notre société. Cela s’est traduit, au cours des années, par des déclarations, des initiatives communes, des voyages pour soutenir des Eglises éprouvées. Je remercie de leur présence Monsieur le Pasteur Claude Baty, président de la Fédération Protestante de France, Mgr Emmanuel, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, qui sont avec moi les co-présidents de ce Conseil. Il y a parmi nous également le Pasteur Jean-Arnold de Clermont, co-président sortant mais actuellement aussi président de la Conférence des Eglises européennes, responsabilité que votre Sainteté a assumée, avant d’être élu Patriarche de Moscou et de toutes les Russies. Quelques membres du secrétariat et des services de notre Conférence sont également présents.

Sainteté, nous sommes très honorés de ce voyage que vous faites en France. Nous savons que vous avez eu l’occasion autrefois de connaître notre pays. Mais, c’est la première fois que, comme patriarche de Moscou et de toutes les Russies, vous répondez à l’invitation d’une Eglise catholique locale. Je souhaite que ce voyage renforce les liens de fraternité évangélique entre nos Eglises.

Ces liens existent et ils sont anciens. Nous savons tout ce qu’une présence russe, souvent liée à l’immigration, a apporté et continue d’apporter à notre pays : témoignages de croyants, présence de théologiens, de spirituels et d’artistes, autant de découvertes, d’émerveillement et d’enrichissements mutuels pour beaucoup de catholiques. Mais nous avons certainement à approfondir ces liens par une meilleure connaissance de chacune de nos Eglises. Nous avons eu, tout au long du XXème siècle, une histoire différente. Mais aujourd’hui, dans le respect, la bienveillance et l’estime mutuelle, nous pouvons partager les fruits spirituels de renouveau dans la foi et de dynamisme évangélique que l’Esprit saint ne cesse de faire croître dans chacune de nos Eglises.

Outre le don du salut reçu, ce qui doit aussi nous rapprocher, c’est notre commune mission, celle de témoigner aujourd’hui de la Bonne nouvelle de l’Evangile à des hommes, des femmes, des jeunes et des enfants qui ne la connaissent pas, que ce soit en Russie, en France ou dans la plupart des pays d’Europe. N’avons-nous pas à partager ensemble nos convictions missionnaires et nos pratiques apostoliques ?

Cette responsabilité du témoignage nous conduit tout naturellement à être au clair sur le sens de l’homme qui nous habite, sur les valeurs fondatrices que nous souhaitons promouvoir dans l’édification de nos sociétés et tout particulièrement dans cette grande maison de l’Europe. Nos Eglises ne sont pas sans réflexion ni expérience sur ce qui rend une société plus humaine ou au contraire la déshumanise. Catholiques et orthodoxes russes ont élaboré, chacun, une doctrine sociale. Les Editions du Cerf ne vont-elles pas publier, dans les jours qui viennent, le grand texte de votre Eglise sur Les fondements de la doctrine sociale, avec une introduction par le métropolite Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad ? Je crois que nous avons tout intérêt à réfléchir ensemble à ces questions. Dans une société européenne marquée par un phénomène profond de sécularisation et où l’idéologie de la consommation risque d’oublier que « l’homme ne vit pas que de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu », il nous faut témoigner ensemble de la dimension transcendante et sacrée de toute personne humaine, de l’importance de la solidarité et de la destination universelle des biens. A la dernière Assemblée œcuménique européenne de Sibiu, les Eglises chrétiennes ont rappelé quelle responsabilité les chrétiens doivent assumer dans l’édification de l’Europe. Ils ne peuvent pas déserter ce lieu de construction et parfois de combat. Certes, on a raison de parler des racines chrétiennes de l’Europe mais il ne faut pas en parler, même si c’est très important, seulement en termes historiques ou patrimoniaux, c’est-à-dire en référence au passé. Il est important de montrer par l’engagement de tous les chrétiens et de toutes les Eglises que ces racines, aujourd’hui, sont sources de vie et peuvent porter beaucoup de fruits.

Sainteté, permettez-moi en terminant d’exprimer un vœu : vous savez qu’il y a dans le cœur de beaucoup de catholiques ce souhait et ce désir qu’il puisse y avoir dans l’avenir, au moment approprié, une rencontre entre votre Sainteté et sa Sainteté le pape Benoît XVI. Celle-ci pourrait être, non pas forcément le point d’aboutissement d’un long processus de clarification préalable, même si des points doivent, de fait, auparavant être abordés, mais le point de départ commun d’une longue marche à parcourir ensemble au service de Dieu et au service tous les hommes, aimés de Dieu. Puisse votre voyage en France contribuer à impulser cette dynamique de la fraternité. Nous sommes prêts à nous y engager avec vous. Que le Seigneur nous bénisse tous, en nous donnant sa lumière et la force de son Esprit.

+ Jean-Pierre cardinal RICARD
Archevêque de Bordeaux et Bazas
Président de la Conférence des évêques de France

Mercredi 3 Octobre 2007