Adresse à sa sainteté le patriarche Alexis II Patriarche de Moscou et de toute la Russie.

Á la cathédrale
Sainteté,

Vous venez d’entrer dans cette cathédrale dédiée par ses constructeurs à la Vierge Marie, dans la gloire de son Assomption. Voilà cinquante ans, les États fondateurs du Conseil de l’Europe ont en quelque sorte renouvelé cette dédicace en offrant le vitrail sous lequel nous nous trouvons, représentant la Mère de Dieu portant son Fils Jésus, en remplacement d’un vitrail semblable, pulvérisé sous les bombes de la seconde guerre mondiale.

Vous l’avez compris, Sainteté, la région qui vous accueille, l’Alsace, mais aussi singulièrement la ville de Strasbourg et sa cathédrale, se trouvent placées par la géographie et par l’histoire en un lieu de déchirures et de combats sanglants. Le fleuve du Rhin a symbolisé pendant plusieurs siècles une coupure entre deux nations qui appartenaient pourtant à la même culture européenne et se revendiquaient de la même religion chrétienne.

C’est la raison pour laquelle les Pères de l’Europe ont jugé que ce lieu était prédestiné pour recevoir l’Institution chargée de construire la « maison commune » de tous les peuples de notre vieux continent. Depuis, de multiples ponts ont été édifiés sur le Rhin, les uns réels, les autres -bien plus nombreux- symboliques, économiques, juridiques, mais aussi spirituels.

Il est heureux que nos Églises chrétiennes se situent résolument au cœur de ce grand mouvement qui voit converger des peuples jadis opposés. L’enseignement du Christ les y engage. De plus, la longue expérience qu’elles ont acquise en matière de divisions -hélas !- mais aussi -grâce à Dieu !- de réconciliations les qualifie pour se situer aux avants postes de la construction européenne.

Peut-on dire que la chute du Mur de Berlin, et ses conséquences pour la réunification de l’Europe, appelle une autre chute, celle de ce mur invisible qui, voici bientôt mille ans, a séparé douloureusement l’Orient et l’Occident ? Comment pourrions-nous, en vérité, inciter les responsables politiques à œuvrer à la réconciliation entre nos pays si nous, responsables religieux, ne nous consacrions pas de toutes nos forces à une réconciliation semblable, en vue d’une pleine communion de l’Église du Christ ?

Á travers vous, Sainteté, nous saluons ce soir la grande Tradition de l’Orient et ses multiples richesses mystiques, patristiques et liturgiques. Depuis des décennies, l’Église catholique se désaltère à la source ancienne et toujours actuelle des Pères de l’Église, d’Orient tout autant que d’Occident, sans ignorer, en France notamment, le précieux apport des théologiens orthodoxes russes du XXème siècle. Nous avons appris à mieux connaître et apprécier les trésors de la liturgie orthodoxe mis à notre portée : le concert spirituel de ce soir en est un exemple évident. Il convient enfin de souligner l’intérêt grandissant des chrétiens occidentaux pour les vénérables icônes de la tradition orthodoxe, notamment russe, qui introduisent si bien à l’invisible du Mystère divin.

Á travers votre personne, c’est encore l’Église de la persécution et du silence que nous accueillons et saluons avec un profond respect. Ici, en Alsace, région annexée brutalement par le Reich nazi, nous avons une expérience particulière qui nous permet probablement de communier plus facilement aux souffrances qu’un régime totalitaire vous a fait si longtemps subir.

Mais voici que nous nous tournons vers l’avenir. Persuadés, avec le grand pape Jean-Paul II, que l’Europe ne saurait être complète sans ses « deux poumons » oriental et occidental, nous sommes désormais décidés à unir nos forces pour les grands défis que nous avons à relever. Puisque nous sommes les uns et les autres dépositaires du riche héritage chrétien, il nous appartient ensemble de veiller à ce que les valeurs qui ont façonné la culture européenne ne soient pas altérées ou rejetées. Le pape Benoît XVI s’est exprimé clairement à ce sujet le 27 mars dernier, à l’occasion du 50° anniversaire des Traités de Rome : « Les valeurs qui constituent l’âme du continent doivent rester dans l’Europe du troisième millénaire comme un ‘ferment’ de civilisation » , et encore « Une communauté qui se construit sans respecter la dignité authentique de l’être humain, en oubliant que chaque personne est créée à l’image de Dieu, finit par n’accomplir le bien de personne » . Nos valeurs communes constituent le support évident de nos actions concertées.

Cependant, il paraît important que nous n’apparaissions pas, orthodoxes et catholiques, comme un front du refus face à toute évolution de notre continent, comme si nous mettions en commun nos forces pour obtenir ensemble ce que nous ne pouvons plus espérer obtenir séparément. Une telle image serait caricaturale du rôle que nous prétendons jouer. Voilà pourquoi, en plus de défendre des valeurs humaines fondamentales qui nous paraissent menacées, nous voulons nous situer comme des forces de proposition dans de nouveaux domaines qui interrogent la conscience humaine.

Dans ce cadre, la question de l’écologie et du devenir de notre planète constitue probablement un lieu majeur qui appelle notre engagement commun. Puisque nous reconnaissons que la terre est un don de Dieu, nous comprenons que nous ne pouvons ni mépriser ce don, ni le dilapider. Par nos prédications et nos catéchèses, nous pouvons aider nos fidèles à prendre la mesure des efforts à entreprendre et des progrès à réaliser.

Sainteté, soyez vraiment bienvenu à Strasbourg et dans cette cathédrale, qui se souvient de la venue de Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholoméos Ier il y a six mois, mais aussi de celle du Métropolite Daniel, l’année passée, appelé depuis à succéder au Patriarche Teoctist de Roumanie. Nous sentons ainsi fortement combien la Tradition de l’Orient est décidée à prendre toute sa place en Europe et, selon la belle expression du cardinal Schönborn, à apporter « le trésor de l’orthodoxie à l’Occident » .

À un journaliste français vous citiez, récemment, la parole de Pascal : « Pour comprendre il faut aimer ». Aussi, « avec compréhension et amour », au nom de tous les chrétiens ici présents ce soir, Sainteté, nous vous saluons et vous accueillons dans la charité qu’est Dieu.

Puisque l’Europe est notre maison commune, aménageons-la ensemble !

Puisque l’Évangile du Christ nous est commun, annonçons-le en concertation !

Puisque la confession de la Très Sainte Trinité est notre foi commune, agissons pour sa gloire et pour le salut de notre monde !

Puisse la Sainte Mère de Dieu, honorée en cette Cathédrale, présenter cette prière à son Divin Fils, AMEN !

+ Jean-Pierre GRALLET
Archevêque de Strasbourg