« Derrière les écrans, il y a des hommes » par le P. Amar

pierre_amarA l’occasion de l’opération « Toile de Miséricorde », pour la 50e Journée mondiale des Communications sociales (8 mai 2016), des blogueurs témoignent.

Prêtre du diocèse de Versailles (Yvelines), le père Pierre Amar est curé de paroisse et l’un des fondateurs du Padreblog, site qui veut offrir « une parole de prêtre, franche, directe et réactive sur l’actualité ». Il anime depuis plusieurs années l’émission « Un prêtre vous répond » sur Radio Notre-Dame.

Vous avez certainement vu ces indications au bord de l’autoroute : « Derrière les panneaux, il y a des hommes ». Les sociétés autoroutières ont décidé, avec raison, d’alerter les automobilistes qui enchaînent machinalement les kilomètres : sur chaque chantier, des hommes travaillent au service des usagers. La prudence est de mise : nous ne sommes pas seuls sur la route ! Il en est de même sur les autoroutes du web. On a tout dit d’Internet mais peut-être pas assez que ce monde certes virtuel n’est certainement pas irréel. Derrière les écrans… il y a des hommes, en chair et en os. La miséricorde ne serait-elle pas aussi faite pour eux ?

Un anonymat qui libère et désinhibe

Il y a sur le web une multiplicité de « visiteurs du soir », comme jadis Nicodème (cf. Jean 3, 2). A l’instar du membre du Sanhédrin hier, ils viennent aujourd’hui parce qu’ils ont faim et soif, parce qu’ils ont eux aussi été bousculés par une parole ou touchés par une image. Des hommes et des femmes avec leurs peines et leurs joies, leurs détresses et leurs questionnements. La solitude de l’internaute (on est rarement plusieurs à « surfer » sur le même écran) renforce également l’envie de se livrer dans une totale transparence. Internet devient en quelque sorte la bouteille à la mer du naufragé, qu’il a remplie de ses angoisses et de ses espérances. Si l’on est assuré que, de l’autre côté du réseau, un disciple du Seigneur est à l’écoute, alors on se confie. Nous en faisons l’expérience tous les jours sur Padreblog.fr et l’auteur de ces lignes aura l’occasion d’en témoigner dans un livre à paraître prochainement [1].

Qui sont ces hommes et ces femmes ? Cherchent-ils un salut et une espérance, veulent-ils inconsciemment ou non, goûter à la miséricorde de Dieu ? Il reste difficile de répondre par oui ou non à cette interrogation ! Mais ils sont très nombreux à se confier, pour le meilleur et pour le pire. Et tous sont désireux d’un partage et d’une rencontre. Cela n’est pas sans poser quelques questions. D’abord parce que l’anonymat défoule. Rien ne s’oppose en effet à délivrer mes divagations intérieures sur la toile sans prendre aucun risque, puisque mes vociférations demeurent virtuelles et anonymes. La provocation peut même devenir un moyen d’exister, d’affirmer une identité fragilisée par l’immensité d’un espace d’expression accessible à tous, mais où chacun apparaît dérisoire. Une multitude d’interlocuteurs ignorés et probablement en mal de reconnaissance tentent ainsi d’y laisser leur marque par des propos provocants. Les routes d’Internet sont devenues l’occasion de multiples dérapages. Derrière de nombreux surnoms transformés en paravents commodes, de courageux anonymes provoquent de vives empoignades. Les anathèmes pleuvent, les jugements et les attaques sont légion. L’arène du Net devient alors foire d’empoigne. On s’y autorise des propos d’une violence que l’on n’aurait pas imaginée un seul instant si l’interlocuteur était réellement et physiquement présent.

Prenons garde : l’écrit est toujours plus subjectivement violent que l’oral ! On n’y met en effet ni intonation, ni expression de visage, ni silence, ni gestuelle qui peuvent accompagner ou tempérer la réception d’une pensée. Sur le Net, on ne s’embarrasse pas non plus de formules et la ponctuation est minimale. De nombreux jeunes y ont même transféré les codes de langage qu’ils utilisent dans les « textos » qu’ils envoient par leurs téléphones mobiles. La langue de Molière en souffre, quand ce n’est pas la simple politesse ou même le plus élémentaire respect des personnes. Or, la miséricorde commence par là.

Il faut aussi faire remarquer que l’anonymat libère : il permet de se livrer encore plus. Par écrans interposés, les usagers du Net semblent se faire des confidences qu’ils n’exprimeraient pas face à face. Dans le premier cas comme dans l’autre, c’est la même logique qui triomphe : la désinhibition et la transparence absolue. Je n’ai peur de rien, il n’y a plus ni pudeur, ni réserve car personne ne sait qui je suis vraiment. Benoît XVI, premier pape sur le réseau Twitter, l’avait déjà fait remarquer : à l’ère du numérique, se pose la question non seulement de l’honnêteté de l’agir personnel mais aussi celle de l’authenticité de l’être. « Dans la recherche de partage, d’amitiés, on se trouve face au défi d’être authentique, fidèle à soi-même, sans céder à l’illusion de se construire artificiellement son profil public » faisait déjà remarquer le pape émérite. Sur le Net, qui donc est cet autre-moi ?

Construire des ponts, faire tomber les murs

En plein Jubilé de la miséricorde, le message du pape François pour la Journée mondiale des communications semble fournir un code de la route pour tisser sur le web une vaste toile de miséricorde. Cette mission consiste, selon lui, « à faire tomber les murs et construire des ponts ». L’expression est belle mais, concrètement, comment la transcrire dans les faits ? En lien avec ce qui a été développé par des jeunes du diocèse de Rennes (« bonne résolution pour 2016 » [ 2]), mais aussi par l’ancien directeur de la communication du diocèse de Lyon (« les sept péchés capitaux des réseaux sociaux » [3]), l’expérience des « Padreblogueurs » se décline en deux exigences et en deux convictions.

Deux exigences :

  • Rester positifs : sans candeur, sans dilution, dans un monde et une époque où Dieu nous a envoyés. Etre rempli de miséricorde, c’est aussi faire grandir la communion et se réjouir lorsqu’une personne, en apparence d’une opinion différente de la mienne, me rejoint sur une voie ou une valeur commune. Réjouissons-nous lorsque les choses vont dans le bons sens ! Oui, on peut par exemple s’opposer par billets interposés à des personnes qui soutiennent des projets de lois sociétales qui nous révoltent et les rejoindre ensuite dans leur combat contre le travail du dimanche !
  • Etre professionnels : Internet est d’une terrible exigence. Halte aux sites « bouts de ficelle », bricolés et amateurs ! Il nous faut, et vite, du graphisme, du multimédia, du pro et du net. Formons-nous à Twitter, Facebook, réalisons des vidéos et des clips : c’est archi simple avec un simple téléphone portable !

Deux vigilances :

  • Lucidité et recul : quand bien même la notoriété numérique se change en notoriété médiatique, je ne sauve pas le monde parce que la vidéo où j’apparais, ou bien l’article que je signe, fait du buzz. Ce qui dépend de moi c’est l’effort : le résultat dépend de Dieu !
  • Fidélité : quand je parle, que je sois un baptisé ou un prêtre, je suis un visage et une voix d’Eglise. Suis-je un disciple authentique et crédible de la Bonne Nouvelle ?
[1] Pierre AMAR, Internet : le nouveau presbytère, Ed. Artège, septembre 2016.
[2] En ligne : http://rennes.catholique.fr/actualite/articles/5438-bonne-resolution-2016-adopter-les-10-commandements-du-chretien-sur-les-reseaux-sociaux/
[3] La Vie, juin 2013. En ligne : http://www.lavie.fr/blog/pierre-durieux/les-7-pecheurs-capitaux-des-reseaux-sociaux,2739

Sur le même thème