Pape François : « Un jeune a quelque chose d’un prophète »

A l’occasion de la sortie du livre « Dieu est jeune » (Robert Laffont, 2018), retrouvez quelques extraits du livre-entretien du pape François.

DieuestjeuneAprès le Jubilé de la Miséricorde en 2016, le Pape François dédie l’année 2018 à la jeunesse. Pour la première fois dans un livre qu’il signe lui-même, le Pape François s’adresse aux jeunes du monde entier, qu’ils soient catholiques ou non : un projet qui lui tient à cœur et sur lequel il travaille depuis le début de son pontificat. « Dieu est jeune, il est toujours neuf ». Par ces paroles, le pontife affirme que les jeunes sont faits « de la même étoffe » que Dieu, et qu’ils doivent avoir une place centrale dans notre société. Il est nécessaire, dit aussi le Pape, de trouver la force et la détermination, mais aussi la douceur pour créer un pont entre les générations : leur étreinte permettra à la société de se régénérer, au bénéfice de tous. Dans ces conversations, le Pape François évoque les grands thèmes de notre société contemporaine avec force et passion : le climat, les extrémismes, la mort, la pauvreté, la dignité, l’espoir, l’individualisme, la corruption, l’éducation…

Extrait n°3

« Pour comprendre un jeune aujourd’hui, il faut le comprendre en mouvement. On ne peut pas rester immobile et prétendre être sur la même longueur d’onde que lui. Si nous voulons dialoguer, nous devons être mobiles, et c’est lui alors qui ralentira pour nous écouter, c’est lui qui décidera de le faire. Et quand il ralentira, une autre figure commencera : un mouvement dans lequel le jeune adoptera un pas plus lent pour se faire écouter, et où les anciens accéléreront pour trouver le point de rencontre. Ils se contraignent mutuellement : les jeunes à aller plus lentement, et les vieux plus vite. Voilà comment nous pourrons progresser. Je voudrais citer Aristote qui, dans sa Rhétorique au livre II chapitre 12, nous dit : « Pour les jeunes gens, le passé est encore peu de chose, et l’avenir beaucoup. En effet, au premier jour de l’existence, on trouve que le souvenir n’est rien et que l’espérance est tout. Ils sont faciles à tromper, pour la raison que nous avons donnée ; en effet, ils espèrent volontiers. (…) Et ils sont plus braves, car ils sont prompts à s’emporter et ont bon espoir ; le premier de ces traits de caractère fait que l’on n’a pas peur, et le second donne de l’assurance. En effet, on n’a jamais peur quand on est en colère, et l’espoir d’obtenir un bien rend téméraire. » […]

Un jeune a quelque chose d’un prophète et il faut qu’il en prenne conscience. Il a les ailes d’un prophète, l’attitude d’un prophète, la capacité à prophétiser, à dire, mais aussi à faire. Un prophète d’aujourd’hui a certes la capacité de condamner, mais il a surtout celle d’offrir une perspective. Les jeunes possèdent ces deux qualités. Ils savent condamner, même s’ils expriment parfois maladroitement leurs jugements. Et ils ont aussi la capacité à scruter l’avenir et à voir plus loin. Mais les adultes sont cruels et ils abandonnent souvent à elle-même cette force des jeunes. Souvent ils déracinent les jeunes et, au lieu de les aider à être des prophètes pour le bien de la société, ils en font des orphelins et des exclus. Les jeunes d’aujourd’hui grandissent dans une société sans racines. […]

C’est pourquoi l’une des premières choses auxquelles nous devons penser en tant que parents, en tant que famille, en tant que pasteurs, ce sont les paysages où s’enraciner, où générer des liens, où faire grandir ce réseau vital qui nous permet de nous sentir chez nous. C’est une terrible aliénation pour quelqu’un de constater qu’il n’a pas de racines, cela signifie n’appartenir à personne. […]

Aujourd’hui, les réseaux sociaux donnent l’apparence d’un espace de connexion avec les autres ; Internet offre aux jeunes le sentiment d’appartenir à un groupe unique. Mais le problème d’Internet est précisément son caractère virtuel : il laisse les jeunes dans les airs, et en conséquence extrêmement volatils. J’aime rappeler une phrase du poète argentin Francisco Luis Bernárdez : « Por lo que el árbol tiene de florido, vive de lo que tiene sepultado ». « Quand nous voyons de belles fleurs sur un arbre, nous ne devons jamais oublier que si nous jouissons de cette vision, c’est grâce à ses racines. »

Une voie possible est à mon avis le dialogue, le dialogue des jeunes avec les anciens : une interaction entre les jeunes et les vieux, y compris en passant temporairement par-dessus les adultes – la génération intermédiaire. Les jeunes et les anciens doivent se parler, et ils doivent le faire de plus en plus souvent : c’est véritablement une urgence ! Et ce sont les vieux autant que les jeunes qui doivent prendre l’initiative. Il y a un passage de la Bible (Joël 3, 1) qui dit : « Vos vieillards auront des songes, et vos jeunes gens des visions. »

Mais cette société exclut les uns et les autres, elle exclut les jeunes au même titre qu’elle exclut les vieux. Pourtant, le salut des vieux est de donner aux jeunes la mémoire, c’est ce qui fait des vieux les véritables rêveurs de l’avenir ; tandis que le salut des jeunes est de prendre ces enseignements, ces songes, et de les porter en avant dans la prophétie. Pour que nos jeunes aient des visions, pour qu’ils soient eux-mêmes des rêveurs, pour qu’ils puissent affronter avec audace et courage les temps à venir, il est indispensable qu’ils écoutent les songes prophétiques de leurs ancêtres. Les vieux rêveurs et les jeunes prophètes sont la voie du salut pour notre société déracinée : deux générations d’exclus peuvent tous nous sauver. »

Extrait n°4

Quand j’étais à Cracovie pour les Journées mondiales de la Jeunesse, un jeune universitaire m’a demandé : « Comment puis-je parler avec l’un de mes contemporains s’il est athée ? Que puis-je dire à un jeune athée qui n’a aucun rapport avec Dieu ? »

Je lui ai répondu : « pourquoi tiens-tu absolument à dire ? Nous devons toujours faire et non dire. Donc, tu fais. Si tu commences à parler, tu feras du prosélytisme, et faire du prosélytisme revient à utiliser les gens. Les jeunes sont très sensibles aux témoignages, ils ont besoin d’hommes et de femmes qui soient des exemples, qui fassent les choses sans rien attendre des autres, qui se montrent tels qu’ils sont et point final. Ce sont eux, les autres jeunes, qui te poseront des questions, et ainsi arrivera le moment de parler, de dire ». […]

Dieu nous a fait naître tous, sans distinction. Dieu est aussi notre mère. Le pape Jean- Paul Ier insistait lui aussi sur l’image de Dieu comme mère de l’humanité. […]

Les sentiments de tendresse reviennent très souvent dans les Écritures, l’amour de Dieu aussi est « viscéral », pour employer une parole humaine. Je trouve très significatif ce passage de Luc (13, 34), qui dit : « Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! » Quand Jésus disait ces mots, il pleurait sur Jérusalem…

Mais je voudrais ajouter encore quelque chose à propos de Dieu. Dans le livre de l’Apocalypse (21, 5) il y a cette phrase : « et celui qui était assis sur le trône dit : voici, je fais toutes choses nouvelles ». Dieu est donc Celui qui renouvelle toutes choses, sans cesse, parce qu’Il est toujours neuf : Dieu est jeune ! Dieu est l’Éternel qui n’a pas de temps, mais qui est capable de se renouveler, de rajeunir continuellement et de rajeunir toutes choses. Les traits caractéristiques des jeunes sont aussi les siens. Il est jeune parce qu’« Il fait se mouvoir toutes choses » et qu’Il aime les nouveautés ; parce qu’Il stupéfie et qu’Il aime la stupéfaction ; parce qu’Il s’est révélé et qu’Il a le désir de nos songes ; parce qu’Il est fort et enthousiaste ; parce qu’Il construit des relations et qu’Il nous demande d’en faire autant, parce qu’Il est social.

J’évoque l’image d’un jeune et je vois que lui aussi a la possibilité d’être « éternel », en mettant en jeu toute sa pureté, sa créativité, son courage et son énergie, accompagné par les rêves et la sagesse des anciens. C’est un cycle qui se ferme, qui crée une nouvelle continuité et qui me rappelle l’image de l’éternité. […]

C’est le synode des évêques, mais il doit être au service de tous les jeunes, croyants et non croyants. Il ne faut pas faire de différences qui conduisent à une fermeture de dialogue : quand je dis tous, je veux dire tous. Tu es jeune ? Tu peux parler, nous sommes ici pour t’écouter. Il est possible qu’avant le synode il y ait aussi une assemblée des jeunes, où ils devront se confronter entre eux sur des thèmes divers et apporter ensuite leurs résultats aux évêques : je crois que c’est le bon esprit pour stimuler le dialogue et la confrontation positive.